Have you ever watch the clouds ?
C'était une journée tellement banale. C'était la routine. Le froid enlaçait doucement mes membres, mes doigts tremblaient sur le clavier de mon portable, mon écharpe parait la légère brise, et mes joues s'empourpraient lentement. Mon souffle était glacé, la fumée de la cigarette se dispersait dans l'air. Il n'y avait pas de bruit. Juste la musique qui tournait en boucle. Je respirais durement, le froid perçant mes poumons fragiles. Mes lèvres étaient sèches, mon regard perdu dans les nuages.
Ils me fuyaient.
C'était l'impression que j'avais. Peut-être était-ce parce que j'étais frigorifiée, un peu perdue. Je les fixais, en marchant doucement. Plus je les regardais, plus j'avais l'impression qu'ils s'éloignaient. Ou , en réalité, ils me suivaient juste. Ils prenaient le même chemin que moi. Je regardais à l'ouest, ils partaient à l'ouest. Je tournais, prenant une nouvelle rue à l'est, ils tournaient avec moi. Je marchais droit vers le nord, ils partaient devant moi. Ils se dispersaient, petit à petit. Et mes yeux les fixaient. Simplement. Peut-être que je cherchais quelque chose. Peut-être pas. Et ma cigarette se finissait. Les cendres volaient, me frôlant de peu. L'odeur se répandait sur mes vêtements, et ma bouche avait un goût amer. Ma respiration se bloquait. Et seuls les rares moments où j'arrivais à reprendre mon réel souffle me soulageaient. Puis, je réfléchissais rapidement, sur une courte durée. Je fumais. Je m'abimais la vie. J'avais du mal à respirer. C'était stupide. Sûrement. Mais pas déplaisant. Je pensais aussi à ce que me disait les non-fumeurs, voire anti-fumeurs. « C'était réellement stupide. Tu te tues. T'es bête ». Toujours la même rengaine. Une rengaine qui manquait d'arguments. M'abimer la vie, c'était plutôt un choix. Alors, je pensais vaguement à ce qui les titillait. Ce n'était pas leur vie. C'était la mienne. On avait tous nos raisons de commencer la cigarette. Certains partaient d'une intention assez ridicule, telle que se la raconter. Mais d'autres l'avaient faits pour se sentir « entier » l'espace d'une minute. J'étais plutôt de cette catégorie. Je me posais, le temps de fumer. Je ne pensais à rien.
Et surtout pas à ma famille.
Ma famille, c'était des Yakuzas. Pas un des groupes reconnus par la quasi-totalité de Tokyo. Juste un petit groupe, qui avait su se faire une place digne. Moi, j'étais l'héritière de ce fameux gang. « Aomori ». Un nom lourd à porter, c'était la seule chose que je parvenais à me dire. Il suffisait qu'une seule personne les connaisse, pour que le lycée entier me craigne. J'étais victime d'une réputation qui ne m'appartenait pas. Je ne ressemblais pas à une fille de Yakuza, plus à une fille de bonne famille. Mais certains lançaient d'injustes rumeurs sur le sang qui coulait dans mes veines. Un sang qui cherchait par dessus-tout la violence et la bagarre. J'avais beau essayé de me rebeller contre ce fait, je ne pouvais pas. Je n'étais pas seule. Mais je ne me sentais pas en confiance. J'avais conscience que chacun de mes amis, à la moindre erreur, me tourneraient le dos. « Amis ». Voilà un terme qui définissait une relation bien fragile. Trop fragile. Je devais chaque jour agir de la même façon, me comporter parfaitement. Si j'étais trop bête, on me reprochait mon statut d'héritière. Si j'étais trop intelligente, on me mettait à l'écart. Si j'étais trop exigeante, on avait peur de moi. Si j'étais trop douce, on me disait hypocrite. Alors, je devais trouver un juste milieu. J'essayais d'être banale. Une simple lycéenne. C'était dur. C'était étouffant. Mais c'était ma vie de tous les jours. Je regardais les nuages, les enviant. Ils n'étaient qu'illusions, comme mon existence. Mais ils étaient libres. Si libres que j'en palissais de jalousie. Alors que moi, j'étais enchaînée. Enchaînée à un titre que je n'avais pas voulue. A un titre qui m'oppressait. Qui me tuait. A un titre qui ne signifiait rien.
Mon portable vibra bruyamment. Mes yeux se posèrent alors sur le clignotant, indiquant le message non-lu. Entre deux bouffées d'air, je le lisais. Je claquai ma langue. Par réflexe, diverses injures fusèrent dans ma tête, sans que je puisse réellement en sortir une seule. Je marchai, encore. La route jusqu'à chez moi me semblait infinie. Je soupirais, et répondais aux messages. A son message.
« Non. »
J'envoyais. Je repris une clope, histoire d'arrêter d'y penser. Le temps de chercher mon briquet dans mon sac, mon portable vibra pour la seconde fois. Cette fois-ci, un juron sorti de mes lèvres glacées. Une fois mon briquet trouvé, la clope allumée, je fixais mon portable.
« Pourquoi ? ». Tu oses encore demander, Don Juan de mes deux ? fut ma pensée.
Les histoires de cœur étaient fréquentes, à cette âge-là. Je n'y échappais pas. J'étais plutôt belle. Mais pas vantarde. C'est uniquement que je savais m'apprécier à ma juste valeur. Et certains garçons aussi, à ce que je voyais. Le message que je venais de recevoir était de l'un d'eux. Un lycéen plus vieux que moi, le type de gars populaire. Le type que je haïssais. En l'espace de deux mois, il avait conquis plus de filles qu'il n'avait de doigts. Selon lui, j'étais sa prochaine cible, et il me pensait acquise. Je n'aimais pas ce genre d'histoires. A mes yeux, les histoires d'éternités, d'amour innocent étaient les pires. Mais néanmoins, les histoires comme celles-ci où l'on ne devait pas s'attacher étaient horribles aussi. Si je sortais avec lui, j'avais l'impression de « perdre ». C'était une bataille.
« Pourtant je t'aime. »
« Menteur ! » Ce que tu aimais, c'était l'idée d'avoir une nouvelle conquête. Ce n'était pas pour ce que j'étais. Et pourtant, mes doigts tapèrent sur le clavier, avant même que j'ai complétement possession de mes moyens.
« … Moi aussi. »
Si être amoureuse était bête, oui, j'étais bête. Mais je t'aimais. Malgré ce que tu étais.
La cendre de la cigarette, avant de toucher le sol, se dispersa à la brise d'hiver. C'était un jour comme les autres. C'était celui de ma rentrée en deuxième année. Et ce n'était que le début de mes soucis.
« Suzuka. Nous t'avons trouvé un fiancé. »
« … Pardon ? »
« Il est plus vieux que toi, mais il prendra soin de toi. »
« … Mais... »
« Suzuka. Tu n'as pas ton mot à dire. »
« Je te hais, enflure. »
« Pardon ?! Comment oses-tu- »
« Ferme ta grande gueule et lâche-moi les basques ! »
Je claquais la porte derrière moi, et m'enfuyais en courant. La voix puissante de mon père était effrayante, trop pour que je puisse lui tenir tête. Je devais juste m'enfuir loin, très loin.
J'étais en larmes. Je n'étais pas triste. J'étais frustrée. Un peu comme lorsque tu n'arrives pas à accomplir un panier de basket, ou à dessiner quelque chose malgré tous tes essais. J'étais horriblement frustrée. Mes larmes coulaient, et ça me faisait mal. J'avais oublié, depuis que j'étais avec mon petit-ami, que j'étais la fille d'un groupe de Yakuza. J'avais oublié que mon père était quelqu'un de buté. J'avais oublié qui j'étais. J'étais juste contente d'être lycéenne. Une simple et banale lycéenne, c'était ce que je croyais.
Alors, face à cette réalité, je pleurais juste. J'avais une boule dans la gorge, et ma volonté se brisait à chaque pas qui m'éloignait de chez moi. Je n'avais pas à refouler ma frustration. Ca m'écœurait d'être aussi faible, et de ne pas avoir le courage de réellement d'affronter mon père. Je me sentais lâche. Je n'avais qu'une seule envie : disparaître.
BZZZ. BZZZ.
Le portable vibra dans ma poche. J'arrêtai ma course.
BZZZ. BZZZ.
Quatre vibrations. C'était un appel. Je décrochai, sans voir qui était l'interlocuteur. Je n'avais pas eu le temps de regarder.
« Suzuka ? »
Je me calmai. D'un coup. Mes larmes se séchèrent, un petit sourire se forma aux coins de mes lèvres.
« Suzuka, mon coeur ? »
J'inspirai, pour ne pas qu'il entende mes sanglots.
« Oui ? »
« Tu es disponible aujourd'hui ? »
« Oui. Je viens juste de sortir de chez moi. »
« Tu veux venir à la maison ? »
Je prenais un temps pour réfléchir. Histoire de l'ennuyer un peu, de le taquiner, avant de lui dire :
« Hum... Je sais pas... Faut voir... »
« Allez, s'il-te-plaît ! J'ai envie de te voir... »
« Moi aussi. »
Je raccrochai.
En fait, j'étais déjà devant sa maison. A chaque fois que je me disputais avec mon père, je venais chez lui. Cela me reposait. Et à chaque fois que j'arrivais, je me cachais derrière le mur au tournant. Pourquoi ? Tout simplement parce que à chaque fois qu'il voulait me voir, il avait toujours une invitée. Une fois n'est pas coutume, une fille de mon lycée sortit de sa maison, accompagnée par le Don Juan en question.
« C'était une superbe après-midi. Tu te serais pas amélioré au lit, toi ? »
« Flatteuse. Allez, file, ma petite-amie arrive ! »
« T'es encore avec ? T'as couché avec elle ? »
« Evidemment. Tu me prends pour qui ? Et puis, je l'aime. »
« La pauvre. J'ai presque de la peine pour elle. »
« On te croit, tiens. Allez, dépêche-toi. »
Mon petit-ami embrassa une dernière fois sa conquête, avant de retourner chez lui. La fille partit rapidement, et je sortis de ma cachette sans être vue par quiconque, et surtout pas lui.
« Encore. », pensai-je.
Je soupirai. Je savais parfaitement, que ce n'était qu'un dragueur sans scrupules. Mais je l'aimais.
Je sonnai à la porte. Il accourut, j'entendais ses bruits de pas précipités.
« Suzuka ! »
« Hey. »
« Viens, entre. Tu t'es disputé avec ton père ? »
« Gagné. »
« … On monte dans ma chambre ? »
« Personne n'est chez toi? »
« Ma mère est partie au parc d'attractions avec mon petit-frère et mon père. »
« Ah. »
Nous discutions tout en montant les escaliers. J'avais déjà retiré ma veste, qu'il avait pris pour la poser sur la rambarde. Il m'ouvrit galamment la porte de sa chambre, avant de me laisser entrer.
« C'est toujours autant le bazar. »
« Je sais.. Il faudra que je range, un jour. »
« Je n'ai pas dit que ça me dérangeait. »
D'abord surpris, il me décocha ensuite un de ces sourires charmeurs qui me faisait fondre.
« Mais quel dragueur. » Il s'assit sur son lit, les jambes écartés, les bras tendus vers moi. Je rougissais un peu, et rit légèrement.
« Je suis sensée comprendre... ? »
« Viens ici. »
Avant que j'ai le temps de prononcer quoique ce soit, il m'avait tiré vers lui à l'aide de ses bras et m'enlaçait. Son parfum m'enivrait, sa chaleur m'apaisait. J'adorais plus que tout le serrer dans mes bras. J'en oubliais mes soucis.
« Mon coeur... Tu sais... »
Je posai avec délicatesse mon index sur ses douces lèvres. J'esquissai un petit sourire, avant de retirer mon haut. Il sourit à son tour, avant de m'aider à me déshabiller. Il m'allongea sur le lit, un air impatient et satisfait à la fois.
« Je t'aime Suzuka. »
« Je t'aime aussi. »
Did my words reach you ?
It could be nice, once in a while.
« Suzuka !! »
« Oui père ? »
« Où étais-tu ?! Tu es encore partie chez cette vermine ?! »
« C'est mon petit-ami père. »
« Qu'importe. Une vermine reste une vermine ! N'oublie pas que tu seras bientôt mariée. »
« Et ? Je devrais rompre avec pour cela ? Non, je ne pense pas. Vous.. Non. TU sais très bien ce qu'est l'adultère, non ? Vu que ce que tu as fait subir à maman. »
« Espèce de... »
« Insulte moi tant que tu veux. Je me marierai, si tu n'as rien d'autre à faire que de pourrir ma vie, mais cela ne veut pas dire que j'accepterai mon futur époux et que je l'aimerai. N'espère pas non plus voir la tête de nos enfants. »
« Suzuka !! »
« Quoi encore ? »
« Rien. Déguerpis de ma vue. »
« Vos désirs sont des ordres. »
Je refermai doucement la porte, avant de courir à ma chambre. Je me jetai sur mon lit, inspirant un grand coup. Et voilà. J'étais à nouveau frustrée. Bien que voir mon petit-ami m'avait grandement soulagée. Je grinçai des dents, murmurant toutes les insultes qui me passaient par la tête. Autant dire qu'elles étaient nombreuses.
Après quelques minutes, je m'étais calmée. Je réfléchissais. Je ne savais pas qui était mon futur mari, à quoi il ressemblait, comment il était. Mon petit-ami me trompait tout le temps, me mentait et je continuais de l'aimer. Mon père était buté, et ne m'avait jamais aimée.
Quand est-ce que cette mascarade allait prendre fin ?
« Oui, quand ? » Je m'endormais sur cette dernière pensée, le coeur lourd mais l'humeur légère. Je n'étais qu'au début de ma deuxième année...